3 ème partie : DU TOURNOI A LA JOUTE

Le brutal arrêt de la législation contre les tournois après 1316 ne signifie pas leur disparition, non seulement parce que la répression locale se poursuit mais également parce que de nombreux indices le confirment.  Toutefois, et c'est une caractéristique de l'histoire du tournoi au XIVème siècle, malgré des preuves que les tournoyeurs conservent une certaine activité, il n'est pas possible de citer avec certitude le moindre tournoi en France.  Le tournoi est une pratique restée anonyme parce qu'il ne retenait pas l'attention des chroniqueurs de l'époque.

I) PERSISTANCE DU TOURNOI

A) LA MEMOIRE DU TOURNOI

1) Les chroniqueurs

En effet ils sont essentiellement des ecclésiastiques et se désintéressent de la question des tournois, une allusion répond à une situation exceptionnelle ainsi la chronique des quatre premiers Valois (1) ne rapporte les joutes de 1345 que parce qu'elles ont été à l'origine d'un drame : "Monseigneur Raoul comte d'Eu fu mis a mort et occis de cop de lance".  Tournois et joutes sont toujours présentés sous un jour défavorable ainsi le continuateur de Guillaume de Nangis ne parle de tournois qu'à travers l'interdit lancé par le Cardinal de FREAUVILLE (2) qui "deffendi tous tournoiemens et tant les tournoians comme les souffrans et aidans", les allusions sont toujours chargées de ressentiment.

A la fin du siècle, l'attitude de l'Eglise se fait d'autant plus conciliante que le roi s'affiche dans les joutes et Juvénal des Ursins rapporte de nombreux faits d'armes, en revanche il n'est plus question de tournois. C'est dans l'oeuvre de FROISSART que l'on s'attend à trouver de nombreux renseignements sur les tournois, ses chroniques sont constituées de plus de mille deux cent chapitres et couvrent les trois quart du XIVème siècle de 1325 jusque vers 1400, d'autant plus que ses récits sont mus par le désir de plaire à la noblesse, ce qu'il a noté de son temps, c'est ce qui était susceptible d'intéresser la chevalerie, la prouesse, les faits d'armes, les aventures guerrières, il nous décrit une société chevaleresque et batailleuse, or il ne nous apprend rien des tournois, il décrit diverses joutes notamment après 1389 mais aucun tournoi n'a retenu son attention. Cette absence semble indiquer un rapide déclin de la pratique après 1316.

2) Les historiens

Toutefois les historiens des XVII et XVIIIèmes siècles citent quelques exemples de tournois après cette date, malheureusement la plupart cachent des joutes.  Ainsi en 1389 à propos de la chevalerie des fils du roi de SICILE, Vulson de la Colombière (3) décrit : "En suitte de laquelle création le roy ordonna un tournoy, où furent faits divers beaux faits d'armes, soit à la jouste, soit au combat à  l’espée" or, l’auteur cite sa source, Juvénal des Ursins, qui n'emploie à aucun moment le mot tournoi et l 'usage d'épées est lié à la seule interprétation de l'historien.  En effet, Marius BARROUX (4) qui a étudié ces fêtes royales de façon plus approfondie conclut : "il s’agissait par conséquent de joutes et non à proprement parler de tournois".  Chez les auteurs modernes, les exemples de confusion terminologique se multiplient et faute de précisions, il n'est pas possible de se fier à ce type de sources.  Ainsi, le père MENESTRIER (5) cite un tournoi qui eut lieu en 1346 à CHAMBERY, mais l'information ne peut être retenue puisqu’à une date aussi haute l'essentiel des rencontres est constitué par les joutes.  Les renseignements fournis par ces historiens sont non seulement inexacts mais en plus ils sont rares, La Colombière qui consacre deux volumes de plus de six cent pages au tournoi n'est en mesure de citer que quatre tournois au XIIème siècle.  Mais les historiens contemporains ne font pas mieux, Philippe CONTAMINE dans son article sur les tournois à la fin du Moyen Age est incapable d'en citer ne serait-ce qu'un en France, le seul qu'il évoque eut lieu en 1310 à MONS (6), alors qu'en ce qui concerne les joutes, il n'a que l'embarras du choix.  Toutefois, s'il est interdit d'être catégorique, les probabilités sont fortes en ce qui concerne certains exemples pour qu'ils soient effectivement des tournois.

B) EXEMPLES DE TOURNOIS

1) En France

Tout d'abord les mandements royaux adressés à des baillis particuliers n'ont de sens que s'ils visent à réprimer des désordres effectifs, ainsi des tournois ont indiscutablement eut lieu en 1305 en VERMANDOIS et en 1312 à LYON, par ailleurs certains baillis ne sont concernés qu'à une seule reprise, preuve que l'intervention royale ne s'inscrit pas dans le cadre de sa politique de prévention, ainsi des tournois ont eu lieu à coup sûr en 1303 en AUVERGNE et début 1304 en SAINTONGES, toutefois il est impossible de préciser leur date exacte, ni le lieu où ils se sont déroulés.  Mais les hasards de la documentation fournissent des exemples où les présomptions sont encore plus fortes.  Ainsi à propos du mariage d'Isabelle de France avec Edouard II, Vulson de la Colombière (7) rapporte que "les joustes et les tournois y furent magnifiques et d'autant plus beaux, que toute la fleur des Gentils - hommes et chevaliers de France, d'Angleterre et de Flandres y estoit accourue", l'emploi des deux termes, joutes et tournois, incite à penser qu'il n'y a pas de confusion et qu'en 1309 à BOULOGNE, alors que la législation contre les tournois marque une pause, c'est bien une mêlée qui couronne la fête.  Le même auteur cite un autre tournoi qui eut lieu à CAHORS en 1318 (8) et parce qu'il fut représenté dans la demeure du neveu de Jean XXII, dont le nom est resté attaché à celui du tournoi, il y a de fortes probabilités pour qu'il s'agisse d'une mêlée, en effet la lutte contre les joutes n'a commencé au sein de l'Eglise qu'en 1313 et la symbolique du tournoi y est beaucoup plus forte, pour cette raison, il est plus susceptible d'être représenté.  Le dernier exemple qu'il soit possible de citer concerne un tournoi à TOURS en 1316, dans une compilation de 1742, Dom MORICE (9) écrit : "avant que cette cérémonie se fist (le sacke de Philippe V) il y avait eu, sur la fin du mois de Novembre un tournoi magnifique à TOURS, où le Duc de BRETAGNE avait esté suivi, entr'autres seigneurs, de Henri d'AVAUGOUR, monté sur un cheval du prix de trois cent livres, dont le duc aïant eu envie, il l’acheta du seigneur d'AVAUGOUR", la formulation indique un combat d'équipe et le duc de BRETAGNE semble diriger l'une d'elles.  Les trois exemples présentent tous des signes de leur déroulement en mêlée, qu'ils soient contemporains des ordonnances royales, ne fait que renforcer la démonstration.

3) En dehors du Royaume :

Il est beaucoup plus facile de citer des tournois en dehors du domaine royal, le plus connu reste celui qui eut lieu à MONS (6) en 1310, mais il y en eut également de nombreux en Angleterre, à WARVICK en 1300 et 1302, à BAINTREE en 1301, mais aussi à WALLINGTON en 1307 et à DUNSTABLE en 1309.  L'étude de la législation sur les tournois a montré qu'ils étaient répandus en France à cette époque et s'ils ont été oubliés, c'est peut être que l'usage de dresser des armoriaux, à leur occasion était moins répandu que dans les autres pays.  On ne peut citer de façon irréfutable des tournois, ni avant 1316, ni après, aussi faire de cette date la fin du temps des tournois serait exagéré , elle n'est qu'un tournant.  D'ailleurs la chevalerie française est concernée par les tournois qui se perpétuent dans les principautés au nord de la France jusqu'au XVème siècle, il y en a un à VALENCIENNES en 1344 (11) et on peut encore en citer un en 1392 (12) à BRUGES, ce n'est pas un hasard si le roi René (13) s'inspire des usages : "qu'on garde es ALMAIGNES et sur le Rin quant on fait  les tournoys et aussi selon la manière qu'ils  tiennent en France et en Brabant", pour rédiger son traité de la forme et devis d'un tournoi.  En effet, c'est dans cette partie de la chrétienté que la pratique des tournois se maintient le plus longtemps, si les contemporains du roi René l'avaient oubliée, c'est que la tradition avait été perdue depuis un certain temps.  Dater la disparition des tournois est malaisé, quoiqu'il en soit c'est après 1316, puisque des traités, des contrats, les concernent bien .près cette date.  En effet contredisant le manque de faits, l'activité des tournoyeurs a laissé de nombreuses traces Qui montrent que le tournoi reste inséparable de chevalerie.

C)-TOURNOI ET VIE CHEVALERESQUE

1) La théorie :

Bien avant le roi René et Antoine de la Sale, au milieu du XIVème siècle, Geoffroy de Charny ressent le besoin de codifier les tournois et les joutes et ses demandes pour les joutes adressées à Jean II et à ses compagnons chevaliers de l'ordre de l'Etoile, cherchent à parfaire leur pratique notamment en ce qui concerne les joutes, elles mettent au point une véritable casuistique de l'atteinte.  L'auteur était un modèle du comportement chevaleresque puisqu'en 1356 à POITIERS, il fut chargé de porter l'oriflamme et plutôt que de reculer il préféra trouver la mort, ses traités sont un témoignage d'autant plus précieux de l'idée que la chevalerie se faisait d'elle même, qu'ils s'appuient sur l'expérience d'un homme qui consacra sa vie à son service.  Son oeuvre montre que le tournoi reste un élément fondamental de la culture chevaleresque, en témoigne ce conseil qu'il donne aux jeunes nobles qui exercent le métier des armes (14) : "Jouster te faut en ta jouvence.  Et tournoier pour cognoissance". Ces vers montrent que si les joutes sont plus fréquentes, un chevalier ne peut s'accomplir sans tournoyer, à cette époque les deux pratiques sont encore menées concurremment et restent deux écoles complémentaires pour apprendre l'exercice des armes.  Le tournoi permet aux jeunes de "faire leur corps" (15) et reste l'école du courage décrite par Roger de HOVEDEN (16), en effet, pour Geoffroy de Charny il est avant tout l'occasion de s'exposer à (15) : "travail  de corps, froisseures et bleceures et peril de mort aucunes fois".  Le tournoi est inséparable de la vie chevaleresque, non seulement parce que l'expertise au maniement des armes est le meilleur moyen de se faire valoir, mais également parce qu'il est une occasion de paraître (15) : "il sont bien à loer et priser, car il convient grans mises , grans estofes  et grans despens",  il permet de faire preuve de largesse et de montrer sa puissance, la chevalerie s'y met en scène.

Geoffroy de CHARNY, ne laisse aucun doute, les tournois ne sont pas des phénomènes exceptionnels et il atteste même de l'existence au sein de la chevalerie de tournoyeurs professionnels qui vivent de cette pratique (15) : "Et pour cesti fait d'armes en y a aucuns qui, bon  corps qu'ils ont fort et appert et délivre, le font si très bien qu’ils ont en ce mestier grant renommée pour leur bien fait et dont pour ce qu'il le font souvent".  Le tournoi apparaît donc comme un moyen de promotion, certains courent les tournois, y trouvent la gloire et la fortune (15) : "Et ainsi veulent continuer de poursuivre en celi faits d'armes,  pour les grâces que Dieu leur en a faittes, et de ce mestier d'armes se tiennent pour les grans los qu'il en ont et entendent à avoir".  Toutes proportions gardées, le temps de Guillaume le Maréchal n'est pas si loin.  Les tournois n'ont pas disparu et bien que numériquement minoritaires, ils estompent toujours les joutes par leur prestige.  Geoffroy de CHARNY classe les différents faits d'armes, les plus prestigieux sont les faits d'armes de guerre, mais parmi "les fais d’armes de pais", c'est le tournoi qui est le plus haut dans la hiérarchie, il est l'exercice chevaleresque par excellence et continue d'alimenter l'imaginaire jusqu' à la fin du siècle puisque l'oeuvre d'Alain CHARTIER lui accorde encore une place privilégiée, il est selon le poète un des meilleurs moyens de plaire à une femme(18)
"Amour  trouva premiers haulx intruments
Chansons, dances, festes, esbatements
Joustes, essaiz, behours et tournoyments"
Cette longévité du tournoi malgré les nombreux signes de déclin s'explique par la place qu'il avait acquise, il était devenu indissociable de chevalerie.

2) Dans la pratique

Il est toujours possible que la théorie soit en décalage avec la pratique, or, les contrats qui liaient les chevaliers à certains grands seigneurs confirment que le tournoi fait partie intrinsèque du code de chevalerie.  Divers exemples en ont été conservés concernant différentes parties du Royaume.  En 1332,  Eudes IV (19), Duc de BOURGOGNE, retient Jean de la Planche, seigneur d'HEREMBAUT pour le servir dans ses tournois à raison de vingt sous par jour plus un cheval et pour le servir dans ses guerres tous frais payés (9).  Plusieurs contrats passés entre 1338 et 1349 entre Louis de NEVERS et des chevaliers ont été retrouvés, un contrat avec Jean de NOYELLE stipule qu'il devra servir loyalement le Comte, sa vie durant, dans la guerre, le tournoi et les joutes et dans tous les autres cas appartenant à un chevalier, un autre, Jean de Saint Quentin fut retenu à vie le 2 Septembre 1338 pour le service à la guerre et au tournoi.  Dans ses demandes pour les joutes Geoffroy de CHARNY (19) confirme que cet usage est très répandu, il évoque le cas d'un riche personnage retenant un banneret ou d'un banneret retenant un chevalier en lui cédant une terre à titre héréditaire ou viager.  Ces contrats montrent que les tournoyeurs sont bien des professionnels qui vivent de leur pratique, la politique de prestige des puissants se poursuit au XIVème siècle et justifie encore l'entretien d'une équipe.

Si la bulle "pasiones miserabiles" attachait une grande importance à invalider ces contrats d'homme à homme, c'est précisément parce qu'ils intègraient parfaitement le tournoi à la structure féodale et étaient la meilleure garantie de sa longévité, mais ils ne sont pas les seuls indices de la persistance du tournoi qui transparaît également à travers de multiples actes de la vie quotidienne ainsi en 1333, un noble bourguignon dans son testament lègue à l’Eglise Saint Lazare d'AUTLIN, deux chevaux "c'est à savor hun des chevaux a gerre et l'autre a TORNOY". Il a une symbolique très importante et en 1384 aux obsèques du Comte de FLANDRES, Louis de Male, les seigneurs lui rendent le dernier hommage ordonnés comme pour un tournoi.  Un dernier exemple est particulièrement révélateur, les inventaires des armureries royales, princières ou seigneuriales signalent à côté de l'équipement prévu pour la guerre, un équipement spécialement adapté aux besoins des tournois (19).

Leur disparition n'est donc pas aussi brutale que le laissait présager l'arrêt de la législation royale, ce n'est qu'après 1350 que les traces de l'activité des tournoyeurs se raréfient à l'extrême et ce, en dépit de la croissance du matériel documentaire.  On trouve dans l'oeuvre de CUVELIER (20) la confirmation que le temps du tournoi est passé, alors qu'il évoque les premiers succès de DU GUESCLIN dans les joutes et tournois, il en parle quelques années plus tard comme d'une pratique révolue : "Pour ytant qu'a ce temps adont ou tournoioit".  Dater leur disparition est délicat parce qu'elle ne survint pas partout en même temps, parce que des tournois exceptionnels se tiennent jusqu'au XVème siècle dans certaines principautés, mais globalement, c'est le milieu du XIVème siècle qui marque la fin du temps des tournois.  Si dans un premier temps les ordonnances royales imposent des conditions nouvelles ce sont des facteurs internes qui président à la disparition des tournois, parmi lesquels, la concurrence des joutes a un rôle fondamental.
 

II) L'EXCLUSIVITE DES JOUTES

A) L'omniprésence des joutes

En effet, le déclin du tournoi va de pair avec le succès grandissant des joutes, elles sont extrêmement populaires et tout évènement devient prétexte à en organiser,  l’intérêt des chroniqueurs s'est essentiellement porté sur les joutes royales, elles témoignent de profondes évolutions.

1) Les joutes royales

La tenue des joutes ne répond pas comme celles des tournois aux impératifs de la guerre et de la paix, elles sont avant tout des fêtes qui accompagnent les temps forts de la vie du Royaume.  Elles sont presque systématiques lors des mariages royaux ou princiers, à propos des noces de Jean V de BRETAGNE avec Isabelle de FRANCE, Juvénal des Ursins (21) fait une remarque révélatrice : "et y eut joustes, et autres choses accoustumées d'estre faites".  Quant aux fêtes de chevalerie et aux entrées royales dans PARIS, elles sont inconcevables sans joutes, même Charles V qui pourtant était hostile à ces exercices, n'échappe pas à la règle et le 28 Mai 1364 (22) :"furent les joustes grandes et belles".  L'association des joutes aux fêtes royales est ancienne, on peut en citer des exemples même au temps de Philippe le Bel, ainsi en 1309 à BOULOGNE.  Et ce n'est pas pour des considérations personnelles que les rois les interdirent, les ordonnances étaient dictées par la raison d'Etat.  En effet, la plupart des rois les pratiquèrent dans leur jeunesse, la présence de Philippe de VALOIS est attestée à des joutes alors qu'il n'était que Comte du MANS, Jean II lors de sa captivité assiste à des joutes et c'est son fils le Duc de BERRY qui en emporte le prix (23), mais ce fut Charles VI qui s'impliqua le plus dans la pratique pour laquelle il nourrissait une véritable passion et il jouta jusqu'à un âge avancé (24).  L'influence des rois fut déterminante dans le succès que connurent les joutes, ainsi sous Charles V qui fut un roi peu chevaleresque, elles disparaissent pratiquement, en revanche l'émancipation de Charles VI en 1389 correspond à leur apogée.  Le patronage royal leur donna le prestige qui leur manquait par rapport au tournoi et elles devinrent dans la seconde moitié du XIVème siècle un véritable phénomène de société.

2) Un phénomène de société

Si la plupart des joutes dont le récit soit parvenu jusqu'à nous concernent essentiellement l'entourage royal, ce n'est pas qu'elles aient été réservées à une élite mais c'est précisément parce que la présence du roi les sortait de la banalité.  Les hasards de la documentation tirent quelques joutes plus modestes de l'oubli où la plupart d'entre elles sont tombées, ainsi en 1338, c'est au cours de joutes à RENNES que Bertrand DU GUESCLIN (25) se signale à son entourage.  On peut en citer tout au long du siècle, ainsi le ler juillet 1376 (26) ont lieu des joutes à la MOTHE SAINT HERAYE et d'autres le 4 Juillet à SAINT MAIXENT en présence du Duc de BERRY.  Ces joutes se déroulent dans les grandes occasions et couronnent les fêtes, comme celles données en 1377 à TOULOUSE par le Duc d'ANJOU pour la naissance de son fils.  En fait, elles sont tellement assimilées au genre de vie aristocratique, que les bourgeois se mettent à en organiser.  En 1330, (27) à la demande du prévôt des marchands de "Faire joustes contre les bourgoiz du royaulme", Philippe VI en autorise la tenue et elles se déroulèrent autour du thème de la guerre de TROIE, d'autres eurent lieu la même année à TOURNAI.  Ces joutes bourgeoises dénotent une volonté évidente d'imiter la noblesse et témoignent de la popularité des joutes au XIVème siècle.

B) L’ECLIPSE DU TOURNOI

1) Une ancienne rivalité

Le succès de la joute est étroitement lié au déclin du tournoi, et bien que ces deux pratiques soient souvent assimilées, leur histoire est marquée par une grande rivalité.  Les joutes apparaissent en temps qu'exercice autonome plus tard que les tournois, elles sont mentionnées pour la première fois en 1114 dans une charte de VALENCIENNES (28), toutefois elles obtiennent vite un franc succès.  Les romans de chevalerie laissent percer le mépris qu'avaient les tournoyeurs pour ces "plaideries" , pour ces "parlements" soumis à des conventions et à des règlements au cours desquels on ne s'exposait qu'aux coups d'un seul adversaire, il en est resté au XVème siècle l'usage que rapporte le roi René (29) : "la lance ne peut affranchir l’espée".  Mais progressivement, l'image des joutes s'améliore et au milieu du XIIIème siècle, elles concurrencent sérieusement les tournois et finissent par les supplanter à la fin du siècle.  Toutefois, les deux pratiques coexistent et en 1285 à CHAUVENCY un tournoi couronne les joutes.  En fait, la disparition du tournoi au XIVème siècle est 1 'aboutissement dl une vieille rivalité, elle montre que les joutes sont plus adaptées à leur temps.

2) Les avantages de la joute

En effet, que le pouvoir royal ait favorisé les joutes au détriment des tournois n'explique pas tout, elles ne se sont imposées que parce qu'elles répondaient mieux aux préoccupations des chevaliers.  Ce qui fut décisif c'est qu'elles mettaient l'individu en valeur, tandis que dans la cohue de la mêlée, les faits d'armes passaient inaperçus.  En effet, hormis quelques tournoyeurs hors pair comme Guillaume le Maréchal, peu de chevaliers attachèrent leur nom au tournoi, le héros du tournoi était le tournoi lui-même, l'exploit était collectif.  Les jouteurs recherchent la gloire pour eux seuls, c'est pourquoi Catherine GAUCHE (28) voit à l'origine du passage à la joute l'influence du mouvement courtois qui a pour principe l'affranchissement de l'individu sur le groupe, on peut également lier cette évolution à la coupure qui se fait à la même époque entre chevaliers et non chevaliers, les joutes permettent de choisir un adversaire de son rang et répondent au souci de ne pas affronter n'importe qui.  Les tournois confondaient tous les chevaliers, les jouteurs rêvent de la gloire de LANCELOT.  En effet un fait d'arme prend d'autant plus de valeur qu'il est vu de tous, une anecdote rapportée par FROISSART(30) témoigne de ce souci de se mettre en valeur, lors des joutes données en 1389 en l'honneur de la reine Isabeau : "les chevaliers se plaignaient de la grande poudrière qu'il avait fait le jour des  joutes, et  disoient les aucuns que leurs faits en avoient été perdus", si bien que le roi fut amené à faire arroser la place pour ne pas que la fête fut gâchée.
Le XIV ème siècle s'intéresse à la prouesse individuelle et l'entreprise de Regnault de Roye, du sire de Saint Py et du maréchal de Boucicaut qui se maintinrent durant trente jours lors des joutes de Saint Inglevert en 1390 ne s'explique pas autrement (31).  La principale caractéristique du tournoi était son anonymat, sa disparition est inséparable d'une évolution des mentalités chevaleresques.

C) SPECIFICITE DES JOUTES AU XIVème SIECLE

1) Une période intermédiaire

Le déroulement des joutes aux XVème et XVIème siècles est bien connu grâce à l'intérêt que leur portait les chroniqueurs, en se référant à ce modèle, il est possible de déterminer les caractéristiques des joutes au XIVème siècle.  Elles sont en pleine mutation, les demandes pour les joutes de Geoffroy de CHARNY (32) montrent que le droit d'arme de joute n'est pas définitivement établi, il évoque différents cas litigieux, par exemple quand les deux chevaliers sont désarçonnés alors que l'un d'entre eux a porté son atteinte le premier, et se demande l'attitude à suivre, ses questions restent sans réponse mais font preuve d'un souci d'améliorer une pratique qui n'est pas encore figée.  Les joutes ne se réduisent pas encore à rompre des lances, une des questions de Geoffroy de CHARNY est particulièrement révélatrice "S'il avenait qu'en celle feste, un chevalier portast un aultre à terre de coup de lanche, sa selle entre ses jambes , et tout hors du cheval, gaignera-t-il le cheval ?", le but de la joute est avant tout de désarçonner son adversaire pour remporter sa monture.  La joute est un véritable combat où la tactique a un rôle à jouer. Enguerran de Monstrelet (32) rapporte qu'au début du XVème siècle on pouvait encore toucher par devant et par derrière : "Depuis le faulx du corps en amont", ce qui implique que le jouteur tournoie dans le champs et cherche à désarçonner son adversaire par une atteinte soudaine.  Aussi, parfois les chevaliers frappaient le vide parce que leurs chevaux faisaient un brusque écart, selon FROISSART (31) le cas est prévu et réglé, les jouteurs devaient alors se montrer "fort courroucés" et recommencer aussitôt "De grand randon".  Dans le cas contraire, les chevaux trop bien maintenus en ligne se percutaient et par conséquent étaient fréquemment blessés ou "affolez".

Les joutes continuent à présenter l'attrait du danger réel et ont sur le tournoi l'avantage de mettre en valeur, le chevalier, ces deux éléments sont fondamentaux pour bien comprendre l'abandon d'une pratique aussi ancienne que le tournoi.  La joute reste un combat dangereux, les innovations techniques n'ont pas encore transformé le jouteur en cette "sorte de projectile, presque aussi aveugle qu'un boulet de canon", décrit par Jean Jules JUSSERAND (34).  L'introduction de toiles ou de barrières au XVbme siècle bouleversa les conditions du combat, en en réduisant l'intérêt, le choc ne pouvait venir que d'un seul côté et que sur une partie limitée de l'individu.  De plus, même si l'armure de plate fait son apparition dans la seconde moitié du siècle, elle n'est pas encore perfectionnée au point de réduire le rôle de l'homme à tenir la lance.  La joute au XIVème siècle n'est pas uniquement un spectacle, l'influence de la guerre de cent ans a conditionné son évolution et dans la seconde moitié du siècle, les joutes à outrance se multiplient.

2) Joutes de guerre, joutes de paix

BURCKHARDT (35) disait : "qui a la guerre, n'a pas besoin de tournoi", les faits démentent cette assertion, les batailles, les sièges incessants ne suffisent pas à satisfaire le goût pour l'exercice des armes, au contraire, c'est la guerre qui influence le déroulement des joutes.  La distinction entre joutes de guerre et joutes de paix apparaît dans la deuxième moitié du siècle, les premières dites "à outrance" sont pratiquées avec armes de guerre, tandis que les secondes dites "de plaisance" se déroulent avec des lances munies d'un rochet, sorte de couronne protectrice qui atténue la violence du coup porté.  Les joutes de guerre présentent un danger certain, l'attrait n'en est que plus grand et elles se développent de façon importante, ainsi à Saint Inglevert, les chevaliers qui défient BOUCICAUT et ses compagnons choisissent essentiellement l'écu désignant les armes de guerre.

Les affrontements deviennent de plus en plus nationaux et les chevaliers ont tendance à poursuivre dans la paix les rivalités et les rancoeurs de la guerre, ainsi en 1357, Bertrand DU GUESCLIN (36), après avoir vaincu un chevalier anglais nommé Guillaume de BLANCBOURG, a une nouvelle affaire peu de temps après avec Guillaume TROUSSEL au camp de PONTORSON, qu’il défait également.  Les joutes à fer émoulu sont pratiquement des duels déguisés et les accidents y sont fréquents, à CHINON par exemple, Jean de la JAILLE perce un chevalier anglais de sa lance (36).  Le conflit franco-anglais a de profondes répercussions sur la pratique des joutes et l'état de guerre permanent finit d'enlever tout son sens au tournoi puisque c'est au début de la guerre de cent ans qu'il disparaît.  La dimension nationale que prend le combat des trente symbolyse cette évolution.  Il se déroule le 27 Mars 1351 à l'époque où la tradition des tournois se perd, par bien des aspects il ressemble à un tournoi, par le nombre des combattants, par le défi qui est lancé, par l'organisation des conditions du combat, par la pause qui est faite pour reprendre force et haleine, mais les chevaliers s'y entretuent et déjà il n'est plus un tournoi.